Hervé Dumazel - Référent agro-écologie
"L’agro-écologie, ce n’est pas une recette, il n’y a rien d’imposé. L’agro-écologie c’est une pédagogie de la question et non de la solution."
"Il faut aussi laisser s’exprimer les élèves sur leurs idées, sur des alternatives ou innovations. Avec l’agro-écologie, nous nous lançons dans une aventure pédagogique, intellectuelle et de mise en situation."
"Toutes les disciplines peuvent s’inscrire dans le projet : il faut créer un ensemble cohérent."
Pouvez-vous nous parler de votre formation et votre parcours ?
Je suis un "pur produit’ de l’enseignement agricole !... Après un BTA (brevet de technicien agricole), puis un BTSA, j’ai été enseignant en productions animales puis en agronomie dans différentes classes et établissements de la région. L’agronomie m’intéresse vraiment : les sujets abordés sont très variés, c’est très large et c’est une science intégrative.
Je suis ensuite parti au lycée agricole de Guadeloupe de 1999 à 2006 où j’ai pu remettre au goût du jour, avec des élèves, des méthodes de culture basées sur des techniques ancestrales, qui sont la base de l’agriculture durable : utilisation de déchets verts comme substrat de culture, plantes associées, agro-foresterie...
En 2006, je suis arrivé au lycée du Valentin. Je suis enseignant en bac techno, bac S et en BTSA APV, filière dont je suis coordonnateur.
Qu’est ce que l’agro-écologie pour vous ?
L’agro-écologie, ce n’est pas une recette, il n’y a rien d’imposé, car ce n’est pas un modèle figé. L’agro-écologie, c’est une pédagogie de la question et non de la solution. C’est une démarche co-construite avec les élèves qui sont des "producteurs de connaissances et de références". L’agro-écologie englobe plusieurs systèmes ayant des objectifs sociaux, économiques et environnementaux : on retrouve finalement les 3 piliers du développement durable. Ce sont différents types d’agriculture qui entrent dans une démarche globale.
Quel est votre rôle en tant que référent agro-écologie ?
Dans la région, il y a un référent par établissement public. Mon rôle se situe donc surtout au niveau de l’établissement du Valentin. J’anime localement le projet, je coordonne les informations des équipes pédagogiques sur les actions qu’elles ont menées, les thèmes abordés en lien avec le projet. Avec les autres référents de la région, nous avons des réunions pour échanger sur l’avancée du projet.
Pourquoi vous ?
J’ai été volontaire pour être référent. Pour moi, c’était la suite logique de la dynamique lancée autour du plan Ecophyto sur lequel j’étais déjà bien engagé, aux côtés de l’exploitation du lycée. Et c’est un sujet fédérateur qui permet de réunir tout l’EPL : les élèves, les équipes pédagogiques, l’exploitation. 2 autres collègues travaillent également sur le projet : l’une à l’animation Ecophyto, l’autre est en train de réaliser un livre sur l’agro-écologie.
Comment se passe la mise en place du projet agro-écologique au niveau de l’établissement ?
Comme les autres référents, j’ai réalisé un état des lieux sur l’établissement : en parallèle du directeur de l’exploitation agricole qui réalise son propre diagnostic d’exploitation, tout ce qui est déjà fait en matière de formation autour de l’agro-écologie a été répertorié. C’est un diagnostic, une enquête auprès de toutes les équipes pédagogiques des centres de l’EPL qui est en lien avec le projet d’établissement.
Au niveau de l’exploitation, la situation est déjà bien avancée puisqu’elle est déjà en bio mais nous nous fixons des objectifs tel que l’autonomie fourragère, les économies en eau, la diminution des intrants.
Au niveau de l’enseignement, avec le projet agro-écologique, je dirais que nous allons vers l’enseignement du complexe avec des pédagogies basées sur l’observation, la déduction, l’expérimentation... Ce n’est pas un enseignement de LA solution mais d’un faisceau de solutions.
Au début, les enseignants et les élèves étaient un peu déstabilisés, mais cette démarche est aujourd’hui bien mieux intégrée. Bien sûr, les savoirs de base sont toujours enseignés mais pour les applications concrètes, les élèves réfléchissent à de nouvelles méthodes, à de nouvelles pratiques, qui rentrent quelques fois en confrontation avec ce qu’ils voient chez leurs parents agriculteurs par exemple. On laisse les élèves réfléchir sur des alternatives ou innovations. Nous regardons ensuite si c’est réalisable. C’est une sorte de "brainstorming", une phase de réflexion riche avant de passer à la mise en place concrète sur le terrain. Le terrain est d’ailleurs très important : c’est en pratiquant qu’on apprend. Avec l’agro-écologie, nous nous lançons dans une aventure pédagogique, intellectuelle et de mise en situation dans une démarche participative.
La réussite du projet dépend de l’échange entre les équipes pédagogiques et l’exploitation, de l’échange avec les élèves. Il faut communiquer au plus près de chacun, s’écouter, être attentif à l’autre. Il faut aussi échanger avec les salariés des exploitations des lycées. Au lycée du Valentin, nous sommes proches. Nous pouvons vraiment avancer ensemble. Les élèves suivent de près le projet et les mises en place concrètes. Par exemple, nous testons la culture sous couvert permanent, le semis direct sans travail du sol pour développer la synergie entre les plantes et limiter le développement de l’ambroisie. Les élèves suivent de très près ce projet et, comme c’est un projet à long terme, ils transmettent leurs connaissances aux promotions suivantes qui continueront le suivi. C’est aussi un partage d’informations, d’expériences.
Est-ce que toutes les disciplines sont concernées ?
Toutes les disciplines peuvent s’inscrire dans le projet : cela permet de créer un ensemble cohérent. En mathématiques, le professeur peut utiliser les données des essais pour faire des exercices de statistiques, la biologie est pleinement intégrée dans le suivi de la biodiversité fonctionnelle...
Il faut aussi que l’on intègre dans le projet le volet transformation et commercialisation : enseigner à transformer et consommer autrement.
Pour l’instant, la formation des enseignants est assez peu développée, elle se met en place progressivement avec des visites sur le terrain, des interventions de scientifiques, quelques sessions de formation nationales.
Comment se passent les stages en entreprise pour les élèves ?
Les stages travaillent l’ouverture d’esprit des élèves. Sur le terrain, ils voient différents systèmes d’agriculture, qu’ils soient conventionnels, bio, raisonnés... Ils peuvent comparer, en discuter entre eux et voir concrètement ce qui est réalisable ou non.
Dans combien de temps pensez-vous que l’agro-écologie sera bien installée ?
Je dirais d’ici 2025. C’est l’échéance que nous nous sommes donnés. Nous sommes dans une phase de transition avec des systèmes conventionnels qui perdurent et de nouveaux systèmes alternatifs qui émergent. L’agro-écologie n’est pas un système figé mais elle inclut une multitude de techniques et systèmes différents.
Est-ce que les élèves participent au salon Tech&Bio qui se déroule sur l’établissement ?
Oui, les élèves et les équipes pédagogiques y participent très concrètement. Par exemple, les étudiants vont présenter cette année une collection de maïs montrant une grande diversité génétique, depuis l’ancêtre du maïs jusqu’aux variétés actuelles. C’est une bonne expérience pour les élèves parce qu’ils sont ici en situation professionnelle, ils rencontrent des professionnels. C’est valorisant pour eux et très formateur.
Retrouvez l’intégralité du dossier dans la publication : Connaitre l’enseignement agricole.