David Messa - référent agro-écologie pour le réseau CNEAP Rhône-Alpes
"L’agro-écologie, c’est surtout une affaire de bon sens.
Le travail collectif et le partage d’expériences sont essentiels : ce sont des éléments qui permettront de mener à bien le projet.
Nous souhaitons que l’exploitation soit aussi un outil pédagogique et serve de base de démonstration.
Il faut créer un réel mouvement collectif, que tous les professeurs soient dans la dynamique de l’agro-écologie. Il faut les former dès maintenant pour qu’ils puissent porter ce projet au mieux par la suite."
Pouvez-vous nous parler de votre formation et votre parcours ?
J’ai tout d’abord suivi un BEPA Cultures pérennes au lycée horticole de St Ismier à Grenoble, puis un BTA Paysage. J’ai poursuivi par un BTSA Production horticole au lycée horticole du Bocage à Chambéry. J’ai travaillé dans une entreprise de paysage, puis j’ai fait un remplacement, en tant qu’enseignant, au lycée horticole de Pressin. J’ai ensuite suivi une formation pour valider une licence ingénierie de projet en agro-équipement. J’ai été enseignant dans cet établissement jusqu’en 2008, puis je suis devenu responsable de l’exploitation du lycée. Avec moi, il y a trois salariés permanents et un saisonnier pour 6 mois. Le lycée compte 15 enseignants techniques et de matières générales.
Pour vous, qu’est ce que l’agro-écologie ?
On trouve énormément de définitions de l’agro-écologie. Je pense que l’agro-écologie c’est surtout une affaire de bon sens. Par exemple, on ne traite que s’il y a un réel besoin, après avoir utilisé d’autres techniques. C’est une approche globale : il faut nourrir le sol d’abord, et non les plantes. L’agro-écologie c’est la préservation des ressources de la nature, la performance économique et écologique. Dans le cas de l’horticulture, c’est par exemple utiliser toutes les techniques alternatives possibles pour produire avec moins de pesticides, utiliser la faune utile comme moyen naturel de lutte. Pour installer les principes agro-écologiques, il faut d’abord modifier les façons de penser, tournées majoritairement vers l’agriculture traditionnelle. Des collectifs d’agriculteurs, des GIEE (groupements d’intérêt economique et environnemental) se sont formés pour mener de façon collective des projets agro-écologiques. Ils s’engagent à modifier leurs pratiques pour viser des objectifs économiques, environnementaux et sociaux.
Vous êtes référent agro-écologie pour le réseau des établissements privés.
Quel est votre rôle ?
Je suis chargé de diffuser l’information sur l’agro-écologie dans les établissements du CNEAP Rhône-Alpes. Je centralise toutes les informations des différents établissements, les actions engagées... Les relais dans les établissements sont en cours de mise en place.
Pourquoi vous ?
Je fais partie depuis 3 ans du réseau des directeurs d’exploitations des lycées agricoles de la région. Je participe déjà à des actions communes menées par ce réseau. Je pense que c’est pour cela que j’ai été sollicité pour être référent agro-écologie pour le réseau du CNEAP Rhône-Alpes. J’ai tout de suite accepté parce que ça changeait de ce que je faisais dans mon exploitation et ça me permettait de me lancer dans un projet collectif en lien avec d’autres établissements. C’est toujours intéressant de partir sur de nouveaux projets.
Comment s’est passée votre formation pour être référent agro-écologie?
J’ai suivi deux formations, une semaine en novembre 2014 et une semaine en mars 2015. Tous les référents agro-écologie de France étaient présents, environ 130 personnes. Nous avons eu des interventions de scientifiques de haut niveau qui ont abordé la partie recherche et développement, l’innovation en agro-écologie ou encore les expérimentations réalisées dans ce domaine. Entre référents, nous avons pu échanger nos idées sur nos programmes régionaux, sur les pratiques pédagogiques en lien ou non avec les exploitations, sur le moyen de diffuser le projet agro-écologique mais aussi sur la façon de l’enseigner. Ceci est un des points clés. Il faut former nos jeunes le plus tôt possible à l’agro-écologie. Nous avons aussi travaillé sur la conduite de projet, sur la façon de fédérer et animer son équipe dans nos établissements respectifs. Il n’y a d’ailleurs pas de recette toute prête. La ligne directrice est donnée mais chaque référent prend en main son réseau d’établissements à sa manière.
Comment se passe la mise en place du projet agro-écologique au niveau du réseau ?
A ce stade, le projet n’en est qu’à son début. Ce sont les établissements qui ont une exploitation qui font partie de la première vague du projet : lycées horticoles de Chambéry et de Pressin, lycées agricoles de Sandar à Limonest et de Ressins à Nandax, ISETA de Poisy. Le lycée de Combloux et celui de Feurs, qui ont essentiellement des formations "services", ont également rejoint ce premier groupe.
Dans les exploitations des lycées agricoles, le travail autour de l’agro-écologie peut se mettre en place très concrètement par des actions de terrain mettant en lien les enseignants et les élèves. Combloux, avec sa cuisine centrale qui livre des repas à des structures d’accueil, va travailler sur l’approvisionnement local. Feurs, avec sa crèche d’application, travaille sur l’intégration des connaissances du développement durable en menant un projet en lien avec l’alimentation des enfants.
Le CNEAP Rhône-Alpes organise des réunions de coordination pour faire le point sur les avancées du projet dans chaque établissement. A ce jour, nous avons réalisé un état des lieux des pratiques, en lien avec l’exploitation ou non. Il y a déjà des pratiques agro-écologiques dans les établissements, mais il s’agit aujourd’hui de les formaliser, de mettre un mot dessus. Pour cela, le travail collectif et le partage d’expériences sont essentiels : ce sont des éléments qui permettront de mener à bien le projet. Chacun des 7 établissements a fait l’inventaire des activités pédagogiques en lien avec l’agro-écologie. A Pressin par exemple, avec l’enseignant d’agronomie de BAC pro Productions horticoles, nous conduisons différents processus de maraîchage en agriculture biologique. Nous travaillons aussi sur la connaissance du sol pour l’améliorer sans le détruire.
D’ici 2016, il faudra faire adhérer tous les établissements du réseau CNEAP Rhône-Alpes à ce projet. Ils pourront s’appuyer sur l’expérience des 7 premiers établissements. Il faut que les établissements "services" trouvent aussi leur place dans le projet agro-écologique. Le but est qu’en 2019, toutes les exploitations des lycées aient fait leur transition vers l’agro-écologie. Les actions à mettre en place pour le réseau doivent être concrètes et réalisables. Il est nécessaire de regarder avec chaque établissement ce qui peut être fait ou non, en tenant compte de leur situation, pour ne pas mettre en danger l’économie des exploitations. C’est un enjeu fondamental. L’agro-écologie, c’est concilier la performance économique et envrionnementale.
Et dans votre établissement ?
Sur l’exploitation de Pressin, nous essayons de réduire au maximum les intrants, de limiter la consommation en eau et en énergie en cultivant des plantes plus rustiques et résistantes, de convertir une partie de la production en bio, de développer la vente directe... Concernant l’enseignement technique, nous souhaitons que l’exploitation soit aussi un outil pédagogique et serve de base de démonstration. Les enseignants techniques consacrent un jour par semaine à différentes expérimentations, menées avec les élèves, sur les cultures horticoles. Il est nécessaire que les cours dispensés soient aussi tournés vers la pratique : ceci permet de mettre en oeuvre concrètement les connaissances théoriques en agro-écologie et de diffuser et valoriser ces nouvelles pratiques. Au niveau de l’eau, nous avons un étang et nous récupérons également toute l’eau de pluie des toitures. Nous sommes complètement autonomes en eau et, grâce à un système de lagunage naturel, nous n’avons pas besoin de la traiter.
Est-ce que toutes les disciplines sont concernées ?
Oui, bien sûr ! Il faut créer un réel mouvement collectif, que tous les professeurs soient dans la dynamique de l’agro-écologie. C’est un projet pluridisciplinaire : tout le monde doit être dans le coup ! Là est le défi. Il faut que chacun s’imprègne du projet et le porte. Par exemple, le professeur de maths peut faire des exercices en lien avec l’agro-écologie (calcul de volume de terre, de surface de serre, comptage de faune auxiliaire et statistiques...) et le professeur de français peut faire étudier des articles sur l’agro-écologie.
De plus, l’innovation pédagogique sera au coeur du projet : les enseignants vont se réunir d’ici la fin de l’année afin de confronter leurs méthodes pédago-
giques d’enseignement. Les professeurs d’agronomie et de biologie-écologie ont déjà la volonté de travailler ensemble autour du sol car celui-ci est la base de l’alimentation des plantes. C’est le collectif qui fera la force du projet !
Former les élèves, c’est l’enjeu principal ?
Oui, le véritable enjeu c’est de former les élèves. C’est la première génération qui va entrer dans la vie professionnelle après une formation plus tournée vers l’agro-écologie. Dans 4 ans, ces jeunes seront installés. Il faut les former dès maintenant pour qu’ils puissent porter ce projet au mieux par la suite. C’est vrai que ce n’est pas toujours facile car certains jeunes ont des parents agriculteurs qui travaillent plutôt avec des méthodes traditionnelles. Le discours chez eux est parfois différent d’ici. Toutefois, nous n’imposons pas de méthodes, il n’y a pas de recette toute faite. Nos méthodes peuvent être performantes sur certaines exploitations et ne pas fonctionner sur d’autres. C’est l’échange, la démonstration pratique, l’analyse des situations qui sont intéressants.
Et au niveau des programmes pédagogiques et référentiels de diplômes ?
Les diplômes de l’enseignement agricole sont en cours de rénovation pour intégrer l’agro-écologie. Une certaine souplesse au niveau des programmes permet aux établissements d’adapter la formation à la situation locale. Ici, nous construisons le projet avec les BAC pro et les CAPA. Par exemple, avec la classe de seconde pro productions végétales, l’accent est mis sur la conduite des cultures horticoles dans le respect de l’environnement.
Dans combien de temps pensez-vous que la dynamique de l’agro-écologie sera bien installée ?
Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, porte fortement ce projet. La note de service du 16 février 2015 relative à la transition agro-écologique, qui s’adresse aux établissements d’enseignement agricole, a été signée par le ministre lui-même. C’est un signe fort ! Si la volonté politique se maintient dans cette direction, je dirais qu’il faudra sans doute dix ans pour que l’on voit très concrètement les avancées sur le terrain. En 2025, l’agro-écologie sera certainement bien installée. Mais pour cela, il faut que tous les acteurs soient prêts à aller dans cette direction : la recherche, les coopératives, les agriculteurs mais aussi les banques, qui ont pour l’instant un peu de mal à accorder des prêts à des agriculteurs qui s’installent dans une logique agro-écologique, un peu éloignée des principes de l’agriculture traditionnelle.
Quelles difficultés rencontrez-vous pour mener ce projet ?
Les délais sont très courts pour mettre en place ce projet agro-écologique : c’est donc un réel challenge. Par ailleurs, le rôle de référent n’est pas toujours facile : il faut gérer un projet et animer une équipe. Une autre difficulté réside dans l’amalgame que beaucoup font entre agro-écologie et agriculture biologique. Que ce soit du côté des enseignants ou des agriculteurs, certains sont réticents au bio et sont donc, à priori, assez en retrait par rapport à l’agro-écologie. Or, la conversion bio n’est qu’un volet possible du projet agro-écologique. Il y a d’autres directions possibles comme le développement de l’apiculture, la diminution du recours aux antibiotiques vétérinaires, la réduction des produits phytosanitaires... Chacun peut faire un peu dans la direction de l’agro-écologie, suivant le point de départ de chacun et sa situation. C’est une démarche de long terme à laquelle chacun participe selon ses moyens, ses possibilités.
Retrouvez l’intégralité du dossier dans la publication : Connaitre l’enseignement agricole.